Agora ou l’art de la synthèse

Édito d’Alain Juppé

Agora, biennale de Bordeaux, occupe une place singulière en Europe et pour bien des raisons :

1. La première bien sûr est relative à son succès. Agora croît d’édition en édition avec une particularité : les publics se diversifient au point qu’aujourd’hui le public d’Agora est parfaitement représentatif de la société métropolitaine européenne, et en tranches d’âge, et en catégories socio-professionnelles. Il n’en était pas ainsi lors des premières éditions qui attiraient essentiellement étudiants et amateurs ou professionnels de l’architecture et de l’urbanisme.

Agora est aujourd’hui, de ce point de vue, une manifestation parfaitement appropriée. Elle l’est même au point que beaucoup de ses adeptes ne savent pas qui en est l’organisateur. C’est finalement le meilleur compliment qu’on puisse faire à Agora ! On va à la biennale de Bordeaux comme on va à celle de Venise ou au festival d’Avignon sans se demander qui est derrière, qui finance, qui travaille…

2. La deuxième particularité d’Agora est celle de son financement. Qu’Agora soit un événement culturel, personne ne le conteste. Qu’Agora n’ait rien de commun avec les salons de l’immobilier, chacun le sait. Et pourtant, Agora est financée à 60 % par des promoteurs ou des acteurs de la ville, banques et grandes entreprises. Mais Agora est financée également par les bailleurs sociaux. Ce panel est très précisément celui des partenaires de la Ville lorsque celle-ci conduit des projets d’urbanisme négocié, aux Bassins à flot ou à Brazza.

Agora me paraît être, du point de vue de son financement, un modèle pour l’avenir.

Agora ne cherche pas des financements privés en raison de l’impécuniosité des collectivités territoriales, mais parce qu’elle sait qu’un tissage serré entre tous les partenaires qui font la ville est la garantie du succès.

Nous sommes sortis, et pas seulement dans le monde de l’urbanisme, d’une époque où la planification administrative suffisait à dessiner un avenir. Le monde de demain doit se construire de façon inclusive. À la multiplicité des publics d’Agora répond la multiplicité de ses sources de financement.

Il n’y a pas là de hasard mais de multiples convergences vers un objet unique certes, mais complexe et polysémique qu’est la manifestation Agora.

3. Car la troisième particularité porte sur Agora elle-même. Foisonnante, « débridée » même selon F. Edelmann, savante mais aussi populaire, locale mais également globale dans ses thèmes, plutôt joyeuse qu’austère, elle rompt avec l’idée savamment entretenue qu’il y aurait des domaines trop complexes (l’urbanisme notamment) pour être partageables…

Elle rompt avec l’idée qu’urbanisme et société sont des domaines différents. Elle rompt également avec l’idée qu’urbanisme et architecture de qualité sont antinomiques de la promotion immobilière.

Elle rompt enfin avec le goût très français pour la taxinomie qui classe dans des cases différentes et étanches l’architecture, le design, le cinéma, les arts plastiques…

Car si le dénominateur commun, c’est l’urbain, Agora couvre désormais tous les champs de la culture et permet de faire découvrir la ville sous plusieurs formes, sensible, relationnelle, intuitive, réflexive, festive, de faire progresser notre relation à elle et à la société.

4. La dernière spécificité d’Agora, la plus efficace, est de jouer la carte blanche systématique, non seulement au commissaire de l’exposition mais également à tous ceux qui ont un projet, à condition toutefois que l’exposition et les projets, aussi divers soient-ils, traitent du thème retenu : le patrimoine en 2012, l’espace public en 2014.

C’est sans doute cette idée simple qui permet à des collectifs, des associations, des artistes, des musées, des complexes cinématographiques, de porter et de réaliser librement leurs projets dans le cadre d’Agora.

Mais Agora est également participatif. En 2014, le ballet des grues aux Bassins à flot, réalisé par les grutiers travaillant à la construction du quartier, le train mis en place à Brazza avec l’aide des bénévoles de la SNCF, les œuvres d’Olivier Grossetête érigées avec l’aide des centres d’animation ont magnifiquement illustré cet aspect participatif d’Agora.

Agora demain ?

Elle sera, bien entendu, métropolitaine. Elle l’était déjà par ses thèmes. Pourquoi ne le serait-elle pas plus intimement, dans son territoire, pour l’édition de 2017, en s’ouvrant plus largement à la question du paysage ? En illustrant mais également en impulsant le projet urbain métropolitain et en faisant le miroir des valeurs d’une agglomération millionnaire.

Elle restera bien entendu européenne comme elle l’a été pour les deux précédentes éditions.

Elle s’ouvrira plus largement aux autres continents. Québec souhaite créer désormais son Agora, Mexico imagine un jumelage entre Mextrópoli et Agora et Medellin réfléchit à un projet qui nous serait commun.

Agora biennale de Bordeaux peut-elle devenir aussi un événement permettant à certaines villes, étrangères mais également, bien sûr, françaises de venir confronter leurs expériences aux nôtres ? Sans perdre bien entendu la personnalité qui fait son succès ?

C’est à ces multiples questions que devra répondre l’édition de 2017.

 

Alain Juppé
Maire de Bordeaux
Président de Bordeaux Métropole

© Jérémie Buchholtz

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