Édito 2004

Entretien avec Emmanuel Graffeuil et Catherine Arteau

Interview croisée d’Emmanuel Graffeuil, architecte et scénographe d’Agora 2004 et Catherine Arteau, A.M.O. (Assistant auprès du Maître d’Ouvrage) Ville de Bordeaux.

© C. Colomer

Comment avez vous conçu la scénographie de l’exposition ?

Emmanuel Graffeuil : Je me suis principalement occupé de mettre en scène cet immense hangar 14. En 2004, Agora occupait uniquement le rez-de-chaussée. Il fallait monter un projet très vite avec assez peu de moyens, j’ai donc conçu un projet à géométrie variable parce qu’à mesure que ma réflexion avançait, les contenus bougeaient eux aussi. Tout le projet s’est articulé autour des vides et des pleins. On avait monté un énorme échafaudage pour permettre la circulation du public, cet échafaudage donnait accès à ce que j’avais appelé des « alcôves ». L’idée, c’était d’utiliser cet échafaudage, contraint par la trame des poteaux béton du H14, comme colonne vertébrale, et, ensuite, d’habiller les alcôves, adaptables en fonction de l’évolution du projet.

Nous avions habillé l’échafaudage d’une bâche imprimée avec des mots et des phrases agencés de manière graphique. Dans les échafaudages eux-mêmes, on avait disposé des tubes néons de couleur de sorte à ce que l’échafaudage change de couleur… alors aujourd’hui tout cela est très banal mais en 2004, c’était assez nouveau ! Dans toute la partie publique, l’idée c’était de faire une exposition de chaises de créateurs en partenariat avec des magasins de design. Mon souhait avait été de travailler autour de chaque poteau béton, en présentant les chaises sur de petits socles. D’un seul coup, la galerie était devenue un lieu de passage, une espèce de rambla si j’ose dire.

Nous avons donc eu une affluence vraiment inattendue. Il faut bien comprendre qu’au départ, on ne savait pas si Agora allait intéresser juste les architectes et un public très ciblé, ou si cela allait intéresser beaucoup de monde…en réalité, il y a eu une flot hallucinant du grand public. Au départ, je pense que dans l’esprit de tous, Agora était un vrai mystère.

Aviez-vous conscience de l’ampleur que cette biennale allait prendre à Bordeaux ?

Emmanuel Graffeuil : Pas du tout. C’était un coup d’essai… Si l’essai était transformé, il était vraisemblable et souhaité de faire perdurer cet événement. Quand on l’a fait, on ne savait pas du tout si ça allait être un flop ou si ça allait fonctionner. Le succès de cette première édition a permis de reconduire Agora.

Catherine Arteau : À Bordeaux, tous les ingrédients étaient alors réunis pour qu’une manifestation comme Agora fonctionne : la volonté politique, l’expérience d’événements comme la Fête du Vin et le contenu en lui-même. Agora a tiré sa légitimité de la combinaison de ces trois éléments. Ensuite il s’est agi de trouver le juste ton, le registre sur lequel nous allions traiter l’événement. Comme nous n’arrivions pas à nous décider sur le choix du nom, j’ai proposé « agora », banal en apparence mais très représentatif de ce qu’était en train de devenir la ville. « Agora » traduit bien une volonté de faire se confronter grand public et public captif. Et la Ville a tenu bon sur cette dimension d’ouverture.

Qu’est-ce qu’Agora vous a apporté ?

Emmanuel Graffeuil : C’était ma première scénographie. J’ai eu de la chance d’avoir ce projet. Agora m’a donné goût à la scénographie. Du coup, j’en ai fait d’autres, j’ai retravaillé avec Catherine Arteau sur une scénographie dans la base sous-marine de Lorient.

Catherine Arteau : Les premiers grands événements sur Bordeaux nous ont tous beaucoup appris. Pour Agora, j’ai mis à l’épreuve mes acquis professionnels. En ce sens et parce que le premier Agora était pour moi un challenge, cela a été une satisfaction professionnelle. Nous avions mis en œuvre, chacun à notre niveau, tout ce que nous avions appris des expériences passées sur Bordeaux pour que cet événement aboutisse. Dans cette histoire, j’ai joué un rôle de terrain ; le tandem Michel Duchène-Michèle Laruë-Charlus a été majeur, j’ai essayé de le servir au mieux.

Racontez-moi votre meilleur souvenir d’Agora.

Emmanuel Graffeuil : Il y en a eu plein… Un super souvenir, c’était le jeudi soir en fin de journée, la veille de l’ouverture, Michèle Laruë-Charlus était venue accompagnée de personnel de la Mairie dont le Secrétaire Général. Tout ce beau monde s’était installé dans les gros coussins « fatboy ». J’avais imaginé, comme tout le monde, que seuls les jeunes s’en seraient servis, et puis non, tout le monde a adoré. Le Secrétaire Général voulait même en récupérer un pour l’installer dans son bureau !

Un autre très bon souvenir, le vendredi midi, il commençait à y avoir du monde, on sentait que la mayonnaise était en train de prendre. On est allés prendre un pot au premier étage du hangar 14 sur la terrasse, le vin était exquis, le cadre superbe, c’est un très beau souvenir, un moment magique.

Le dernier jour, avec Maroussia Rebecq, une créatrice de vêtements, nous souhaitions organiser un défilé et une vente de vêtements à la criée. Je n’avais aucune idée de la manière dont j’allais intégrer et mettre en scène ce défilé. Et là, quelques jours avant, je vois, un soir très tard aux informations, que Vladimir Poutine est accueilli à la Mairie de Bordeaux sur un tapis rouge. J’ai tout de suite décidé de le récupérer. Ce tapis, qui appartenait en réalité à la Chambre de Commerce, nous a été livré. Nous l’avons déroulé le long du hangar 14 et les filles de Maroussia ont défilé dessus. Ca a été un très bon moment aussi.

Catherine Arteau : L’expérience avec le Secours Populaire est un de mes bons souvenirs. La grandeur des événements, c’est lorsqu’on arrive à porter en même temps des choses en apparence totalement opposées, et que cette confrontation se met au service de l’histoire que l’on raconte. Dans l’écriture de l’histoire « Agora », il m’était cher de penser que Bordeaux gardait tout son chic, mais en osant ne pas en avoir : c’est-à-dire en en ayant plus encore.

Rien n’était gagné d’avance et on nous a laissés faire : quelque chose s’est joué sur cette première. Au fond, c’est comme quand on écrit un scénario, vous avez un premier draft, ce n’est pas encore ça mais tout y est. Les fondamentaux sont souvent dans les premières esquisses.

© C. Colomer

© C. Colomer

© C. Colomer

© C. Colomer

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