Édito 2008

Entretien avec Nicolas Michelin, architecte et urbaniste agence ANMA (Paris).

Comment avez-vous été amené à travailler sur Agora ? Qu’est ce que ce projet a signifié pour vous ?

Être commissaire d’un tel événement, c’est un tournant dans la réflexion d’une agence, dans la mienne particulièrement. Un tournant dans la mesure où j’ai dû réfléchir à des thèmes de travail qu’un architecte pratique tous les jours sans forcément les approfondir. Pour moi, Agora a été la prolongation de l’expérience que j’avais eue en tant que commissaire de l’exposition sur le Nouveau Paris. A cette époque, j’avais des projets de livres en cours : Agora m’a poussé à aller plus loin dans la réflexion. La sortie d’Alerte a été pour moi un challenge. J’y ai exprimé toutes mes convictions d’architecte. L’ouvrage est d’ailleurs devenu une sorte de charte de l’agence. Toute personne qui veut travailler avec moi doit partager cette même vision. Cela m’intéresse énormément de porter le débat au-delà de l’architecture, de rapprocher les problèmes de la ville au moyen d’outils différents.

Agora en tant que manifestation grand public nous incite à fabriquer quelque chose d’appréhendable, d’humain. C’est un exercice qui oblige à la synthèse. Ceux qui ont qualifié l’exposition de « bas de gamme » ou « pas assez branchée » n’ont rien compris à la démarche. Tout n’était pas parfait, mais c’était un bel exercice, généreux. Pour la première fois, l’exposition était construite sur deux niveaux, ce que j’avais appelé le « souk » avec tous les exposants et les partenaires au rez-de-chaussée, et l’exposition à l’étage. Il y a aussi, bien sûr, la rencontre avec Bordeaux. Je me suis passionné pour la ville, j’ai fait beaucoup de dessins à la main, je me suis imprégné au maximum de l’histoire de la ville, de sa particularité. Cette ville m’a plu, je m’y suis beaucoup attaché et c’est pour cela que je continue à y travailler.

Le travail avec la Direction générale de l’aménagement est incroyable. Michèle Laruë-Charlus est une femme d’intelligence et d’ouverture, philosophe, elle a une culture immense. Elle porte ce projet auquel elle a raccroché aussi bien du cinéma que de l’événementiel, ce serait impossible sans elle.

 

Quelle est, selon vous, la valeur ajoutée d’Agora ? Y a-t-il une légitimité à ce qu’Agora se passe à Bordeaux ?

Agora parvient à fédérer le public autour des thèmes fondamentaux dans l’évolution de l’architecture et de l’urbanisme au XXIème siècle, comme le développement durable, l’étalement urbain ou le patrimoine. Ce sont des thèmes forts qui pourraient faire l’objet de colloques de spécialistes. La biennale pourrait certainement exister dans d’autres villes, encore faudrait-il qu’il y ait quelqu’un qui porte aussi bien l’événement qu’Alain Juppé et Michèle Laruë-Charlus. Ceux qui voudront transposer cette formule qui n’est ni un congrès, ni simplement une exposition seront obligés de copier. Il y a une particularité bordelaise qui tient peut-être à la Garonne : Bordeaux ce n’est pas tout à fait le Midi, ce n’est pas le Nord non plus… et autre point fort : le hangar 14 qui est parfaitement approprié pour cet événement. La valeur ajoutée tient aussi à la qualité des débats. Il y en a eu de très réussis avec des paroles assez belles. Pour la scénographie, je voulais que tout le public puisse voir les intervenants, d’où l’idée du ring de boxe. Nous avions commencé l’exposition avec une image du soleil suivie de trois utopies : Colombo, Buckminster Fuller et Candilis. C’était assez ludique et un brin provoc, d’un air de dire « aujourd’hui quelle est notre utopie à nous ? Où se situent les vrais enjeux ? » Il était important, je crois, de replacer ces trois utopies parallèles dans l’exposition. Je tenais beaucoup à ce que les gens puissent regarder par la fenêtre dans une sorte d’approche assez douce avec des cadrages sur l’extérieur. Agora, ce n’est pas les architectes qui parlent aux architectes. Mon maître mot a été l’humain, parler aux gens, de leurs usages, ne pas être dans quelque chose de pseudo-théorique. J’ai voulu faire une exposition pour les gens, pas pour les architectes.

 

Pouvez-vous revenir sur le choix de l’intitulé de l’exposition, « Alerte » ?

J’ai choisi d’appeler l’exposition « Alerte » parce que ce mot est joli, léger. Et puis une « alerte », c’est quand il y a « urgence ». Je suis un écologiste convaincu, je pense que le discours traditionnel et culpabilisateur est dramatique. On ne montre pas assez le coté gai et presque jouissif du peu consommer, d’être léger. L’exposition s’ouvrait sur une image du soleil avec cette légende « le soleil produit cent mille fois l’énergie dont nous avons besoin ». Le fossile c’est terminé, le pétrole va être cher, on épuise des forêts, et après, est-ce la catastrophe ? Il y a un immense espoir : l’énergie solaire. De mon point de vue, il s’agit de l’énergie de demain. L’escalator du hangar 14 qui arrivait sur ce soleil, c’était magnifique. C’était aussi un point de départ sur la prise de conscience de l’architecture bioclimatique.

 

Un de vos meilleurs souvenirs d’Agora 2008 ?

J’étais au rez-de-chaussée en train de prendre un café, Sylvain Dubuisson s’approche de moi presque en courant et me dit « Nicolas ! Vas voir là-haut un truc incroyable est en train de se passer c’est complètement dingue ! Va voir ! » Je m’attendais à quelque chose de bizarre, d’extravagant… C’était très simple en fait, c’était juste plein. Des Bordelais de tous âges, presque à touche-touche, comme dans les grosses expositions à Beaubourg, regardaient et lisaient tout. Pour lui, c’était complètement fou. J’étais monté seul, il y avait une très belle lumière à ce moment-là, j’étais vraiment très ému. Nous avions réussi, tout le monde était là. C’était un moment très fort.

Un autre souvenir, c’était avant le début d’Agora : je suis passé devant la place des Quinconces et ai lancé : « ce serait beau si les colonnes rostrales étaient colorées pendant toute la durée d’Agora… » Je suis repassé le jour de l’ouverture d’Agora et les colonnes étaient devenues rouges ! Il faut qu’Agora reste comme ça, garde ce côté décalé.

Le souvenir d’Agora 2008, c’est enfin une symbiose extraordinaire entre Michèle et son équipe, Béatrice Fichet, Nathalie Crinière et moi-même.

© Jérémie Buchholtz

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