Édito 2010

Entretien avec Djamel Klouche, architecte et urbaniste agence l’AUC (Paris)

© Vincent Monthiers

 

Comment avez-vous été amené à travailler sur Agora ? Pourquoi ce projet vous a intéressé, que vous a-t-il apporté ?

L’élément déclencheur a été notre participation à la consultation internationale sur le Grand Pari(s). La question était double : d’une part, le « diagnostic prospectif de l’agglomération parisienne », c’est-à-dire Paris dans quinze, vingt, trente ans, et d’autre part la métropole du XXI° siècle de l’après Kyoto, ou la métropole durable. Il est apparu un phénomène nouveau, celui du changement d’échelle. Au même moment, nous avions une mission d’étude du quartier Mériadeck à Bordeaux. Je pense qu’au même moment et qu’au sein de l’agglomération bordelaise, des discussions sur l’échelle métropolitaine et l’idée d’une ville et d’une agglomération plus intense , plus active et plus stimulante se mettaient en place, avec l’arrivée de la LGV et l’Opération d’Intérêt National Euratlantique entre autres. La fin de l’aménagement des quais et la politique de transport et de déplacement de la ville a fait éclore une lecture autre de l’agglomération.

Une conjoncture féconde était là pour poser la question de l’échelle métropolitaine.

Ce projet a beaucoup apporté à l’agence puisqu’il est arrivé juste après le Grand Pari(s) et nous a permis de travailler sur une thématique proche (la question métropolitaine) mais dans une échelle différente (la métropole millionnaire).

Cela nous a permis de valider des théories développées dans le Grand Pari(s), de réorienter nos postures intellectuelles, d’aller plus loin sur un certain nombre de questions, enfin, de ne pas travailler sur un territoire, mais sur un thème. Avoir fait le Grand Pari(s) et Agora, c’est un beau background pour l’agence.

 

 

Quelle est, selon vous, la valeur ajoutée d’Agora ? Y-a-t-il une légitimité à ce qu’Agora se passe à Bordeaux ?

Cette biennale est devenue un événement connu et reconnu en France, peut-être pas assez encore à l’international. Pour les débats d’Agora 2010, j’avais vraiment envie de solliciter des intervenants européens, je pense qu’il faut poursuivre cette ouverture parce que les thèmes de cette biennale intéressent énormément de villes européennes. Bordeaux est une des premières villes en France, hormis Paris, à avoir accueilli une plateforme architecturale et urbaine de référence, Arc-en-rêve. Je pense qu’à Bordeaux, il y a une vraie culture autour de l’architecture et de la ville. La force de cette biennale vient aussi du fait qu’elle a annoncé, à chaque fois, les mutations qu’allaient vivre la ville et l’agglomération dans les prochaines années. Elle a souligné la réalité de la ville périurbaine en 2006, la question du soutenable et de l’urbanisme écologique en 2008 et a annoncé la ville millionnaire en 2010…

L’intelligence des thématiques d’Agora tient au fait qu’elles devancent toujours un peu les questionnements que vont se poser la ville et l’agglomération. Agora joue un rôle d’ouverture, de pédagogie et d’acclimatation aux questions nouvelles qui se posent en matière d’urbanisme et aux changements culturels qui s’ensuivent.

Cela fabrique une sorte de matrice qui prépare les habitants à ces changements et permet qu’ils germent dans un contexte apprivoisé. Est-ce qu’Agora pourrait exister dans une autre ville ? On a longtemps dit « Paris et le désert français ». Ce n’est plus tout à fait vrai. Bordeaux est une ville attirante aujourd’hui. Un événement comme Agora pourrait trouver sa place dans d’autres villes françaises mais à mon sens, l’idée, ce n’est pas de copier Agora mais peut-être de la dédoubler : créer des biennales plus courtes, précises et fines dans plusieurs endroits en France pourrait devenir une autre manière de soulever des questions contemporaines autour de l’architecture et de la ville.

 

Comment avez-vous conçu l’exposition ? Pouvez-vous revenir notamment sur le sens des tâches urbaines des sept métropoles que vous avez choisi de questionner ?

Pour Agora, nous nous sommes demandés s’il fallait parler de Bordeaux, et finalement nous avons pris le parti d’en parler en creux, à travers sept autres métropoles européennes. Nous trouvions cela plus riche, plus fécond. Notre stratégie a été « comment parler de Bordeaux sans jamais citer son nom » et cela a notamment donné lieu à une série de débats décomplexés. Du point de vue méthodologique, nous avons répertorié toutes les villes européennes entre 700 000 et 1 300 000 habitants. Nous avons ensuite essayé de dégager les sept villes qui pouvaient le mieux parler en creux de Bordeaux, en focalisant sur sept thématiques qui, pour chacune de ces villes, nous racontaient une histoire particulière de ce que pourrait être la métropole millionnaire. Pour les sept villes retenues, nous avons choisi de montrer d’énormes cartes de sept à dix mètres de long, pour sortir de la logique des cartographies classiques et permettre aux visiteurs de « se balader » dans les plans.

L’échelle de la ville millionnaire est intéressante dans sa schizophrénie car elle parvient à cumuler les qualités de la ville moyenne et celles de la très grande ville.

Bien souvent les villes hésitent à passer à l’échelle millionnaire de peur de perdre en qualité de vie, de perdre leur identité. Je suis convaincu que Bordeaux peut jouer cette carte et franchir le cap d’un million sans perdre son identité mais au contraire pour en sortir renforcée et augmentée. C’est en tout cas ma théorie et l’hypothèse que nous avons développée dans l’exposition.

 

Un de vos meilleurs souvenirs d’Agora ?

Mon premier souvenir se porte sur les six ou sept personnes de l’agence qui ont travaillé six mois sans arrêt. Ce sont eux qui ont dessiné les milliards de traits sur les cartes très grand format de l’exposition. Nous avions installé l’exposition au premier étage du hangar 14 en prenant soin que rien ne bouche la vue sur la Garonne et en n’intervenant presque pas sur le bâtiment… Nous avions souhaité donner l’illusion que l’espace du hangar avait été aménagé la veille, avec juste des objets posés ici et là. Le résultat était assez léger, spontané et aérien, l’exposition venait naturellement s’insérer dans cet espace qui s’est révélé très adapté à notre scénographie. J’aime cette dialectique entre quelque chose de faussement frivole, au regard de tout le temps et de l’énergie déployée pour le réaliser. Je crois que le moment le plus fort était de voir cet espace resté intègre dans son rapport à l’extérieur mais radicalement stimulé.

 

 

© Jérémie Buchholtz

© Vincent Monthiers

© Vincent Monthiers

© Jean-armel Mothes-masse

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